Soleil Noir by Julia Kristeva

Soleil Noir by Julia Kristeva

Auteur:Julia Kristeva [Kristeva, Julia]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Médecine
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Déshérité de quoi ? Une privation initiale est ainsf indiquée d'emblée: privation cependant non pas d'un « bien » ou d'un « objet » qui constituent un héritage matériel et transmissi-ble, mais d'un territoire innommable, que l'on pourrait évo-

2. Cf. Kier, cité par Jacques Dhaenens, Le Destin d'Orphée, « El Desdichado » de Gérard de Nerval, Minard, Paris, 1972.

3. Cf. « A Alexandre Dumas », in CEuvres complétes, t.1, La Pléiade, Gallimard, Paris, 1952, pp. 175-176.

quer ou invoquer, étrangement, de l'étranger, d'un exil cons-1 titutif. Ce « quelque chose » serait antérieur å 1'« objet » dis-cernable: horizon secret et intouchable de nos amours et de nos désirs, il prend pour l'imaginaire la consistance d'une mere archaifque que cependant aucune image précise ne réus-sit å englober. La quéte infatigable de maitresses ou, au plan religieux, l'accumulation de divinités féminines ou de dées-ses meres que les religions orientales et en particulier l'Égypte lui prodiguent indiquent l'insaisissable de cette Chose nécessairement perdue pour que le « sujet» séparé de 1'« objet » devienne un étre parlant.

Si le mélancolique ne cesse d'exercer une emprise aussi amoureuse que haineuse sur cette Chose, le poéte trouve le moyen énigmatique d'étre å la fois sous sa dépendance et... ailleurs. Déshérité, privé de ce paradis perdu, il est infor-tuné; cependant, l'écriture est l'étrange moyen de dominer cette infortune en y installant un «je » qui maitrise les deux cotés de la privation: les ténébres de l'inconsolé aussi bien que le « baiser de la reine ».

« Je » s'affirme alors sur le terrain de l'artifice: il n'y a de place pour le «je » que dans le jeu, le théåtre, sous le mas-que des identités possibles, aussi extravagantes, prestigieu-ses, mythiques, épiques, historiques, ésotériques qu'incroyables. Triomphantes, mais aussi incertaines.

Ce «je » qui épingle et assure le premier vers: « Je suis le ténébreux, — le veuf,— l'inconsolé » désigne, d'un savoir aussi sur qu'illuminé par une nescience hallucinatoire, la condition nécessaire de l'acte poétique. Prendre la parole, se poser, s'établir dans la fiction légale qu'est l'activité symbolique, c'est en effet perdre la Chose. Le dilemme désormais sera le suivant: les traces de cette i Chose perdue emporteront-elles celui qui parle, ou bien réussira-t-il å les emporter: å les intégrer, å les incorporer dans son discours devenu chant å force de prendre la Chose. En | d'autres termes: sont-ce les bacchantes qui dévorent Orphée I ou bien est-ce Orphée qui emporte les bacchantes dans son I incantation comme en une anthropophagie symbolique ?

Je suis ce qui n'est pas

L'oscillation sera permanente. Aprés cette incroyable affirmation de présence et de certitude rappelant l'assurance hugolienne d'un patriarche que la solitude ne trouble pas mais pacifie (« Je suis seul, je suis veuf et sur moi le soir tombe »), nous voici de nouveau dans l'infortune. Les attributs de ce « Je » triomphal sont des attributs négatif s : privé de lumiére, privé d'épouse, privé de consolation, il est ce qui n'est pas. Il est « ténébreux », « veuf », « inconsolé ».



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.